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L'Europe qui chante

  • didier turcan
  • 21 sept. 2016
  • 4 min de lecture



Laszlo est troisième basson dans l’orchestre symphonique de Pécs, ville hongroise de Transdanubie du sud.


Il est né ici, il y a fait ses humanités et appris la musique. Pas un seul instant de sa vie Laszlo n’a envisagé de quitter sa ville natale, de monter à Budapest ou de partir à l’étranger fut-ce à Aix-en-Provence, la ville française sœur et complice. La douceur du climat et le rythme de vie ancestral qui bat au cœur de ce massif du Mecsek ont toujours su assouvir ce désir tôt ressenti dans son enfance de mener une existence simple et tranquille, comprenant très vite qu’il était fait du bois des forêts alentours.


Fidèle à ses racines, Laszlo est devenu un notable, une personnalité reconnue et appréciée, un membre régulièrement réélu du corps des représentants de la commune où il est en charge des questions culturelles et des relations internationales. Une position qui lui a permis de jouer un rôle essentiel dans la désignation de Pécs, il y a quelques années, en qualité de capitale européenne de la culture avec la turque Istanbul et l’allemande Essen. Et d’être, à cette occasion, l’initiateur du projet « Ville sans frontières » qui entendait placer la mission confiée sous le signe de la tolérance, du brassage culturel et de la paix. Un message évangélique qui s’est heurté bien vite aux douloureuses réalités du moment.


Laszlo demeure viscéralement attaché à ces rues pavées dans le dédale desquelles il a grandi, à cette cathédrale reconnaissable à ses quatre clochers d’angle, à cette église-mosquée, un rien désaxée sur la place Széchenyi car tournée vers La Mecque mais dont la coupole verte est surmontée d’une croix catholique et d’un croissant musulman, entremêlés. Laszlo avoue toutefois éprouver une tendresse particulière pour la Museum Street – surnom de la rue Kaptalan – riche de sept musées dont le fameux Zsolnay, qui a donné son nom au quartier, et le Vasarely, hommage au plasticien, enfant du pays lui aussi.


C’est à l’hôtel Palatinus, rue Kiraly, que Laszlo a récemment su convaincre les organisateurs d’Europa Cantat – l’association européenne des chorales – de tenir dans sa ville et pour la seconde fois en moins de trente ans la rencontre internationale triennale de chant choral.


- Pécs, leur a-t-il dit, c’est l’Europe qui chante.


Et de rappeler que la musique y est sans cesse présente, en tous lieux, favorisant quantité de vocations et de formations musicales riches de tous les folklores d’Europe centrale. Parfois surnommée la « Liverpool hongroise », Pécs voit naître chaque année un nombre impressionnant de groupes musicaux qui essaiment ensuite, avec des fortunes diverses, dans tout le pays et les états voisins.


Pécs a donc chanté durant cinq jours et cinq nuits en cette fin juillet. Sur tous les tons, en toutes les langues, de l’église franciscaine au Centre Kodaly, de la synagogue de la rue Kossuth au Théatre de poupée, dans les rues, sur les places et jusque dans les cours intérieures. Le festival a semblé se fondre dans une ville taillée pour lui.


- Vous verrez, avait prévenu Laszlo, Pécs ne sera plus que chant et musique.


Au dernier soir du festival, c’est dans la salle encore flambant neuve du Concert Hall que fut donné le récital de ce chœur mixte serbo-croate qui allait emporter tous les suffrages pour son interprétation en miroir des Te Deum de Berlioz et de Bruckner.


Depuis plus de deux cents ans, Pécs montre et démontre le pouvoir de la musique pour évoquer une ville, la décrire même ou en vanter tous les atouts. En vérité, cette ville est une partition. Elle n’a jamais cherché à rivaliser avec la capitale pas plus qu’elle n’a contesté le prestige des autres grandes villes de la Mitteleuropa. Elle a discrètement suivi son chemin qu’elle savait être celui de la musique, jouée ou chantée, en en accueillant tous les styles et toutes les cultures, du rythme des violons tziganes au piano syncopé de Bela Bartok, du jazz façon Benny Goodman aux chants populaires du bassin danubien.


Les notes et les voix se sont élevées des rues de Pécs même aux temps les plus âpres de son histoire et de celle des peuples voisins, se jouant de tous les despotismes et des rideaux de fer de leur démente création. L’anecdote est restée célèbre de ce concert muet donné dans la Chapelle du Calvaire par une troupe d’étudiants mélomanes, amoureux de Frantz Liszt, bravant l’interdiction de se réunir applicable dans tout le pays aux lendemains des événements insurrectionnels de Budapest. Même sans aucun son émis par toutes ses bouches cousues, même sans aucune note s’élevant sous la voûte sacrée, même sans le moindre instrument de musique, rien qu’avec des gestes amples et des expressions appuyées, le groupe livra là l’une des plus mémorables interprétations du Via Crucis.


L’initiative est heureuse qui vient d’être prise par le Commissaire hongrois en charge de la culture de suggérer l’organisation à Pécs d’une réunion de l’ensemble des ministres européens concernés en vue de réactiver le programme « Europe Créative ». Ce dernier, qui n’apparait plus vraiment comme une priorité pour une Union qui fonctionne aujourd’hui mezzo voce, devant permettre de relancer une coopération transnationale à la peine. Laszlo s’est aussitôt félicité de cette décision, tout en faisant remarquer que la musique était quelque peu oubliée par le projet, une omission qui serait certainement réparée lors de l’annonce du troisième volet d’actions en préparation.


- Néanmoins, s’est-il empressé d’ajouter, à la date retenue pour l’événement, il fera beau, il fera doux et toutes les conditions seront bien entendu réunies pour assurer le succès de la conférence.


Et pour faire en sorte que, demain, l’Europe chante encore.


turcan@valauval.fr


Image: Zsolnay Festival of Light à Pécs

 
 
 

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