Les oiseaux Botero
- didier turcan
- 20 févr. 2017
- 3 min de lecture

Elle reviendrait de très loin. En quelques années, elle serait passée de la peur à l’espoir. Parfaitement infréquentable il y a peu de temps encore, la ville serait redevenue visitable et accueillante.
Son seul nom, Medellin, effraie toujours les touristes qui n’en reviennent pas d’être là, tout surpris et fiers de leur audace. C’est en touribus qu’ils visitent la « ville de l’éternel printemps », aussi célèbre pour sa fête des fleurs que pour ses enfants tueurs.
Sergio, le guide, l’affirme, comme pour se convaincre lui-même, la sécurité ici est totale, la paix règne désormais dans les rues du centre et même dans celles des comunas qui surplombent la ville. Pensez. Après des années de tumulte, Medellin enfin respire. Les paramilitaires alliés aux narcotrafiquants, les gentils selon Sergio, ont soumis les milices urbaines et les gangs, les méchants donc, qui terrorisaient la population.
A présent, l’heure serait à la poésie.
« No me iré todavia de los amigos
entranables que leen sus poemas en Medellin,
bajo su sol de fuego
bajo su luna helada
movidos por la musica celestial
que nos convoca “.
Venus de tous les continents, comme chaque année, ils sont quelques dizaines d’auteurs de tous âges à lire ou réciter leurs vers devant une foule immense, tranquille, attentive.
Difficile à croire mais le festival international de poésie de Medellin est aujourd’hui l’un des plus courus au monde. Au début de chaque été, pendant une semaine, les théâtres en plein air, les auditoriums, les parcs et les rues de la ville vibrent du même engouement pour la poésie.

Poète, en réalité, Medellin semble l’être tout au long de l’année quand elle propose d’installer une bibliothèque de béton noir dans un quartier peuplé d’enfants déscolarisés et que ça marche. Poète, elle l’est encore quand elle conçoit et réalise le métrocâble, un téléphérique urbain, devenu curiosité locale majeure, pour désenclaver les comunas nord-orientales et reconnecter les quartiers périphériques au centre-ville. Poète, elle l’est enfin quand elle soigne son ambiance et prescrit à ses habitants et à ses visiteurs une déambulation insouciante dans les allées du Parc des Pieds Nus, sur les berges de la rivière éponyme, pour un parcours antistress au milieu des bambous.
Salvatore est le cousin germain de Sergio. Il est conteur de rue et parle toutes les langues. Il surgit devant les groupes de touristes qu’il sait captiver en quelques mots et deux ou trois postures pour y aller de son récit du lieu et de l’instant. Cela fait bien longtemps que Salvatore ne distingue plus la réalité des faits qu’il relate de son imagination mais après tout qu’importe. Les autorités le connaissent bien et le tolèrent. Il gagne ainsi sa vie. Mais son passe-temps favori, en dehors de ses heures de travail, est de montrer à qui veut ou non son torse lacéré de cicatrices, exposées là comme autant de médailles.
Ils sont devenus les symboles de la renaissance de Medellin. L’un est blessé, l’autre est fier mais tous deux étincellent. Il ne saurait être question de venir ici sans rendre hommage, plaza San Antonio, aux oiseaux sculptés de Fernando Botero, l’enfant prodige du pays.
Au départ, l’oiseau blessé devait être seul. Et puis, un attentat meurtrier a soufflé la place en le criblant d’impacts et en lui faisant un trou béant au ventre. L’artiste a choisi de laisser sur son socle l’œuvre mutilée, témoin aujourd’hui de ce que fut la violence locale des années 90, et de lui donner un compagnon, un qu’on appellerait l’oiseau de paix.

Quand les professionnels de la ville évoquent Medellin, ils parlent d’intelligence urbaine et même de miracle. Après le centre et les quartiers, la ville s’attaque à présent à ses « zones intermédiaires », nom de code élégant et euphémique des favelas. Le Garden Walkway, composante essentielle de la ceinture verte de la ville poursuit l’œuvre d’inclusion sociale entreprise dans la perspective de rebâtir une ville plus humaine et tournée vers la vie. Sans les moyens financiers procurés ailleurs par de riches fondations et sans l’aide ni le prestige d’un Guggenheim latino.
Des leçons sont à prendre de cette ville andine cernée de montagnes perçue il y a peu de temps encore comme un inextricable chaos. Et si des pactes en ses murs sont encore passés, ils sont de ceux qui ont contribué à faire de la ville une « innovative city », reconnue et célébrée au point de susciter la création d’un quartier entier consacré à l’innovation. A l’occasion de la Conférence Cities for Life en 2015, c’est bien à Medellin que le message s’est mué en cette conviction profonde que le XXIe siècle sera bien celui des villes.
turcan@valauval.fr