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La ville palimpseste

  • didier turcan
  • 11 juin 2017
  • 4 min de lecture

Il était une fois, sur les bords de la Vistule, une très jolie sirène émancipée et deux amoureux aussi pauvres que bienveillants… .

L’histoire démarrait bien et les légendes locales avaient cousu des récits plein d’espoir, augurant d’un destin bien moins funeste. Varsovie, c’est une miraculée de l’apocalypse qui aurait détourné pour son drapeau les couleurs traditionnelles des royaumes de Castille et d’Aragon. Elle est faite, il est vrai, ou plutôt refaite de bric et de broc et juxtapose dans le désordre des quartiers qui ressemblent tous à des banlieues.

Il aura fallu de nombreuses années à la ville pour chasser ses démons et surmonter une géographie malheureuse entre Moscou et Berlin. Mais qu’importent à présent les très mauvais souvenirs. Il ne se trouve plus personne à Varsovie pour vouloir détruire le Palais de la Culture et de la Science, place Defilad, qui s’est décisivement imposé comme l’emblème de la ville en haut duquel, dit-on, un homme a longtemps guetté le retour de la prospérité. Le bâtiment semble jouir d’un prestige serein que ne cherche même plus à lui contester la fameuse tour Zlota de Daniel Libeskind, dressée comme un défi à proximité. Plus personne non plus, si ce n’est quelque facétieux touriste, pour demander à voix haute où est passée la statue de Staline.

C’est connu, on n’appréhende bien une ville qu’à pied. Les obligations d’un planning raisonnable habilement conçu sur deux jours autorisaient ce luxe.

L’hôtel Le Régina, rue Koscielna, est certes un peu excentré mais les chambres y sont vastes et raffinées et le service attentionné. Et puis, dans ce quartier autour de la rue Freta, la ville assume des airs de province qui invitent à ralentir le pas. Voire même à l’interrompre quelques instants pour profiter de l’une des nombreuses petites terrasses-parasols aménagées sur la chaussée et y déguster, autolâtre, un pounchki tout chaud.

Il suffit de passer le pont. Le quartier Praga, sur la rive droite, autrefois grave et sinistre, est devenu un havre pour artistes, hipsters et bobos. A certaines heures pâles de l’aube, il n’est pas rare d’y croiser Polanski et son pianiste qui déambulent là, rue Brzeska ou rue Mala, égarés et complices dans leur nostalgie.

Mais Praga vit la nuit. Aux premières heures de la journée, le quartier récupère de ses excès. Les étudiants qui animent les bars à atmosphère de la rue Zabkowska sont encore au lit. Les taggers reprennent lentement leur oeuvre de street-arting des façades d’immeubles et des murs trop nus. Ce calme n’est qu’apparent, Praga bouillonne, ce quartier est un volcan. Son éveil à l’Europe ne tardera plus.

Il n’y a qu’un pas pour se rendre à Kamionek. La Soho Factory est un symbole de reconversion réussie. Hier, complexe industriel, aujourd’hui lieu de toutes les créations. Les usines, derrière leurs murs de briques rouges, n’y hébergent plus des fourneaux mais des ateliers d’artistes, des studios et des lofts. Les anciens hangars y accueillent à présent des concerts et des défilés de mode. Les espaces résonnent encore de la musique des Stones, hôtes récents. La seconde édition d’un nouveau festival de musique alternative y est fiévreusement attendue. C’est à la SF, pour les intimes, que le musée du Néon a déposé ses lumières. La maîtresse des lieux, Iwona, se charge d’éclairer les consciences de ses visiteurs.

Retour sur la rive gauche. Ce n’est plus la même ville. La vaste place Pilsudski est le lieu de toutes les fiertés. Un soldat inconnu y repose. C’est toute l’histoire de la Pologne qui défile. Cette croix dressée n’a pas d’église. Elle honore la mémoire d’un homme simple et assassiné. Il n’y a rien de particulier à y faire mais on ne conçoit pas vraiment de venir à Varsovie sans faire un détour par ce lieu de mémoire où Norman Foster a encore sévi. Et puis l’endroit est un accès royal au Jardin saxon, ancêtre commun et revendiqué de tous les parcs urbains d’Europe.

La très chic rue Mokotowska démarre place Krzyzy et finit à la fin de la journée. Et toujours ces briques ocres ou rouges, y compris au cœur des boutiques ou des restaurants. Il semble que la brique, à Varsovie, soit davantage un élément de décor qu’un matériau de construction. Varsovie, plaisante ce commerçant installé là depuis plus de vingt ans, c’est la ville des murs inutiles.

Quand on cherche un restaurant trendy à Varsovie, il est difficile d’échapper à la famille Gessler qui en possède de nombreux. Une petite préférence, peut-être, pour celui de la fille, Marta, en dépit de son nom parfaitement imprononçable par un non-polonais, le Qchnia Artystyczna, rue Jazdow, au cœur du Centre d’art contemporain, haut lieu culturel mais aussi lieu de rencontres. Ici, il est toujours un varsovien complaisant, au contact facile pour parler de sa ville et pour en parler bien.

La Varsovie moderne s’est reconstruite sur la Varsovie en ruines, explique-t-il. Nul joyau baroque ou art nouveau, comme on en trouve à profusion à Prague, Budapest ou Cracovie, n’est en vue le long de ses larges avenues tracées au cordeau. Cette ville n’est peut-être pas belle mais elle envoûte. Il faut du temps et de l’empathie pour aimer Varsovie, ville pleine de pudeur qui a pris le soin de dissimuler ses cicatrices et dispense ses visiteurs de toute posture compassionnelle. Elle veut leur adresser ce simple message : vous m’aimerez pour ce que je suis devenue et pour ce que je serai. Osant même, dans la foulée, quelques réalisations d’un goût douteux à l’exemple de ce palmier synthétique qui s’élève sur l’avenue Jerozolimskie face à la statue du général de Gaulle. Et comme seule concession à ses tragédies passées, elle ménage pour qui veut ce rendez-vous au 62 de la rue Zlota, où se dresse, en fond de cour, un innocent petit mur rouge : l’une des portes de l’enfer, assurément.

L’ architecture de Varsovie la neuve se donne l’impression d’avoir vécu et trompe bien son monde. C’est une ville palimpseste. Même la vieille ville n’est pas vieille. Les immeubles les plus résolument modernes semblent eux-mêmes ne pas y croire tout à fait. Question de temps, peut-être. Quoique. Après tout, Varsovie n’est-elle peut-être qu’ une illusion.

turcan@valauval.fr

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